mardi 9 décembre 2008

Palermo

Il y a longtemps, et à plusieurs reprises même, j'ai dit que j'allais parler de mon quartier. Avant de m'envoler (enfin de prendre le bus quoi) pour quelques.. mois de vacances, il est donc temps d'évoquer mon barrio, Palermo.



Tour d'abord, il faut savoir que Palermo, c'est grand ! Il y a Palermo plus ou moins à proprement parler, avec tous les parcs (bosques de Palermo) où il fait bon aller pique-niquer/glander au soleil. Très résidentiel, pas mal de hauts immeubles, plutôt chic _ voire hyper chic. Et puis il y a Palermo Viejo, le vieux Palermo, "le" quartier branché, séparé de l'autre par l'Avenida Santa Fe, artère centrale du barrio, bien souvent polluée et embouteillée, vu que beaucoup de colectivos passent par là. Mais ça n'est pas fini puisque, dans Palermo Viejo, il y a Palermo Hollywood, au nord de la voie ferrée, et Palermo Soho, au sud. Et puis, un peu excentré, il y a Las Cañitas, que je connais moins.



Pour ma part, je dois avouer que je suis arrivée à Buenos Aires un peu "Palermo centrée", on va dire. Entre les guides de voyages qui décrivent le quartier comme l'endroit branché et en même temps tellement sympa de la ville, avec moult parcs et bars et boutiques et tout ce que vous voulez, et tous les gens qui ont pu passer par l'Argentine qui me parlaient du quartier avec une excitation réelle, j'avais plus ou moins dans la tête de vivre dans ce quartier. Mon premier appart, celui que je partageais avec Chloé et Juliette, était donc dans Palermo Hollywood.
Palermo Hollywood s'appelle Hollywood parce que c'est pas mal en termes de marketing, et aussi parce que beaucoup de compagnies de cinéma y sont installées. C'est un quartier assez résidentiel, avec beaucoup de restaurants, plutôt pas mals du tout, et aussi un certain nombre de bars et de boîtes. Bon, à l'arrivée, quand il pleuvait et qu'il faisait froid, le quartier nous a moyennement séduites, surtout qu'on était à l'extrémité donc dans un endroit un peu moins animé. Mais depuis, j'y suis retournée dîner (ah, le bife de lomo de Las Cabras !), bruncher (ah, le jardin d'Olsen !), festoyer (ah, le jardin du Sonoman !). Bref, c'est un quartier tout à fait sympathique, avec des maisons colorées ; il est juste un peu plus à l'abandon qu'ailleurs (cf. l'état des trottoirs et de certains bâtiments).

Le jardin d'Olsen, un restau suédois - pas l'endroit le plus typique du quartier, mais bon.

De l'autre côté de la voie ferrée, donc, il y a Palermo Soho, là ou j'habite. Avec deux places "centrales", dirons-nous, la Plaza Serrano et la Plaza Armenia. La Plaza Armenia (ou Plaza Costa Rica, ou Plaza Palermo Viejo, c'est selon), c'est chez moi, c'est trop sympa, avec toujours des percussionnistes le week-end, un marché le samedi matin, un peu d'herbe où s'étendre, et de temps en temps des évènements type concerts, expos ou autres.





La Plaza Serrano est sympa, mais limite impraticable le week-end, entre feria, boutiques de fringues qui se transforment en bars chers et pas forcément sympas le soir, et tous les autres magasins autour. Magasins qui sont d'ailleurs presque toujours beaux, conviviaux, agréables, avec patio / jardin / fauteuils / cabines intimistes. Beaucoup de restaurants, aussi, certains excellents (La Cabrera ou une des meilleures si ce n'est la meilleure viande de votre vie), certains conceptuels (Krishna, indien tendance végétarien - macrobiotique), certains moins bien. Et des bars (Congo), et (au moins une) milonga, La Viruta. Et des galeries d'art. Oui, oui, c'est très chouette.

Bon, un petit bémol quand même : Palermo n'est pas Buenos Aires. Alors oui, j'aime beaucoup ce quartier pour la qualité de vie qu'il procure. Mais le côté trop touristique, trop surfait, trop aseptisé existe aussi. Ce n'est donc certainement pas le quartier le plus authentique de la ville (on y entend beaucoup parler français ou anglais, par exemple). Y resterai-je au prochain semestre ? Une fois de plus, affaire à suivre !!

dimanche 7 décembre 2008

Toi Tarzan, moi... Jane ?

Je ne comprends toujours pas comment s'organisent les rapports entre hommes et femmes, ici.
Ou plutôt si, je sais comment ça se passe, le problème étant de m'y faire.

"Ne pas juger, ne pas comparer, juste s'adapter et accepter".

N'empêche que.

Je n'arrive pas à accepter de devoir hurler ou faire semblant d'être folle pour qu'un vieux borracho me lâche les basques dans un boliche (technique extrême, à employer quand la froideur, le "non", et l'indifférence ostensible ne fonctionnent pas.)

De me faire ostensiblement ignorer par les mecs qui draguent mes copines. Je suis un être humain, merci, tu pourrais au moins dire bonjour plutôt que de couper notre discussion et de t'incruster pour tenter de la "séduire".

D'entendre une connaissance masculine affirmer qu'on "ne peut pas être amie avec une fille, sauf si elle est vraiment, mais vraiment très moche".

De voir aux terrasses des cafés, aux tables des restaurants, des groupes de filles OU des groupes de garçons ou éventuellement des couples. Mixité ? Pas connaître.

De me faire reluquer, commenter, klaxonner par tous les hommes de l'avenue, parce que, ciel, j'ai une jupe, ou je suis plus grande, ou plus blanche que les autres, ou juste parce que je suis une fille (exception, mais en est-ce vraiment une ? Le gamin de 10 ans assis avec son copain dans la rue et qui me lance un "Hola linda !" presque "comme un grand". Le copain pouffe de rire, et moi aussi).

De me faire aborder et "chamuyer" par des Argentins ravis de savoir que je suis Française, mais qui se contrefoutent totalement du reste (= de ce que je suis, de ce que je pense, etc.)

De lire des Cosmopolitan où le sexe est omniprésent (contre le mur, c'est plus sympa) et où on dit aux filles de laisser leurs novios (copains) conduire la voiture et préparer le barbecue ; où on leur apprend à ne pas dire "Tu devrais faire ci" mais bien "Peut être que tu pourrais faire ça". Ne pas heurter la sensibilité du Mâle, jamais.

De se rendre compte qu'une fille, ici, sort avec ses amigas, ses copines, et son copain. Point.

De devoir dire successivement "mon portable est cassé", "j'utilise pas trop internet", "j'ai vraiment beaucoup de travail", "je suis super pressée" pour faire comprendre au même boulet qui m'aborde dans la rue que non, il n'aura ni mon numéro de portable (attention ! erreur fatale à ne pas commettre, car ils appellent), ni mon mail, et que non, je n'ai vraiment pas envie qu'il me raccompagne. Moralité : il a quand même tenu à me laisser mail + n° de tel.

De, parce que je suis assise dans un bar avec une copine, être considérée comme une proie/une fille en manque, et voir les mecs défiler devant nous.

Alors oui, tout ça peut être flatteur, tout ça est drôle. N'empêche que.

J'en ai un peu marre d'être considérée comme un bout de viande au pays de la viande.

Jacaranda

Jacaranda : arbre aux fleurs roses/violettes qui colore les rues de Buenos Aires d'une touche de couleur, de printemps, d'été même.
J'aime les jacarandas.

jeudi 4 décembre 2008

Vacances

Ca y est, je suis en vacances !

Mon dernier examen, oral comme les deux autres, a eu lieu hier, se concluant par un "bon, puisque vous êtes de très bonnes élèves, je vous mets 9(/10)". Ahah. J'ai savouré une dernière lagrima (beaucoup de lait, un trait de café) au soleil, histoire de récupérer des monedas pour prendre le 111. Et j'ai dit au revoir (seulement au revoir, bien sûr) à la UCA. UCA que je commence à aimer (un peu). Quand il y a du soleil, on comprend tout de suite quel est l'intérêt de la grande terrasse le long du fleuve...

Mais voilà, je suis en vacances, et ce jusqu'au... 9 mars 2009 (officiellement)! Je me donne quelques jours pour régler quelques trucs, affiner mon programme de l'été, et puis les voyages commencent. Au menu : nord de l'Argentine, Patagonie, Bolivie, Pérou, Chili. Yiiiiihahh !!!

lundi 1 décembre 2008

Teatro x la identidad

Ce jeudi, au terme d'une journée étouffante (40 degrés tout de même), je suis allée me réfugier dans la fraîcheur et l'obscurité du Teatro Cervantes - un théâtre à l'ancienne, avec pas mal de charme.
Il faut dire que j'y pensais depuis deux semaines : en effet, du 13 au 30 novembre, s'y déroulait le cycle "teatroxlaidentidad", le théâtre pour l'identité. Qu'est-ce que c'est donc que ça ?? Eh bien c'est un cycle de théâtre qui existe depuis 8 ans, lancé à l'initiative des Abuelas de la Plaza de Mayo (Grands-Mères de la Place de Mai). En effet, comme chacun sait, il y a eu en Argentine une dictature de 1976 à 1983, pendant laquelle ont "disparu" environ 30 000 personnes (les desaparecidos). Or, il arrive que ces personnes, relativement jeunes, aient eu des enfants plus ou moins au même moment ; et ces bébés se sont fait récupérer par des parents adoptifs, plus ou moins proches de la dictature, dans le plus grand secret bien entendu. Les Abuelas, ce sont donc les grands-mères qui recherchent leurs petits-enfants (nietos) volés ; tous les jeudis, elles défilent sur la Plaza de Mayo, et lancent pas mal d'initiatives pour essayer de provoquer une prise de conscience de la société (à ce jour, il manque encore quelques 400 nietos, qui ont donc autour de 30 ans).
Teatroxlaidentidad, donc, c'est un ensemble de pièces de théâtre qui vise à faire réfléchir, à faire douter, à faire bouger les choses. Toutes les pièces jouées ont un rapport avec l'importance de connaître son identité. "Mi nombre es xxx y lo digo porque sé quien soy", "Mon nom est xxx et je le dis car je sais qui je suis" : ainsi commencent toutes les interventions de ceux qui se succèdent sur scène, en marge de la pièce àproprement parler.
Le "spectacle", donc, commençait ce jeudi par une troupe de percussionnistes-comiques qui avait perdu son nom. En humour et en musique, on lit entre les lignes le désespoir de s'être fait voler son nom, d'être plongé dans le chaos sans son identité. Performance assez simple mais néanmoins touchante, qui s'achève lorsque le nom perdu est finalement révélé, chanté, scandé. Commence alors la pièce à proprement parler. Ce jour-là, c'était une production uruguayenne qui était à l'honneur, La Embajada (L'Ambassade). Oeuvre réaliste, qui raconte un épisode de la dictature (qui a aussi touché l'Uruguay) : comment l'ambassadeur du Mexique en Uruguay a accueilli à l'ambassade, puis permis d'émigrer au Mexique, ceux qui étaient menacés par la dictature. Chronique du courage (extra)ordinaire, où un homme, avec les moyens dont il dispose, ose tenir tête à la répression ambiante. Chronique du désespoir, aussi ; de la douleur de ne pas pouvoir sortir d'un lieu clos, du déchirement de devoir quitter son pays, de la crainte de ne pas pouvoir retrouver les siens. Plusieurs personnages se croisent, cohabitent, nouent des liens forts d'amitié et de solidarité. L'attente, celle de l'exil, les questions les plus simples qui surgissent (est-ce qu'ils auront du maté ?). Le départ, et les commentaires de l'enfant : '"je pense qu'il faut que je regarde tout, que je me souvienne de tout, car je ne vais pas le revoir avant longtemps"...
Et puis les acteurs saluent, brièvement ; on n'est pas là pour le sho, l'important est ailleurs, dans l'histoire, dans le présent. Deux acteurs montent sur scène ; la première, uruguayenne, lit la gorge nouée une lettre à celui qui a dû être son amant, et qui a "disparu" ; nostalgie de ces yeux "qui posaient sur tout un regard nouveau"... Le second, espagnol, parle de son ami, et, dans un registre moins sentimental, parle de la nécessité de faire changer les choses.
Et puis, enfin... une grand-mère, fragile, digne, monte sur scène, accompagnée d'un des "nietos". Elle dit son désir de faire bouger les choses, de réveiller la société argentine pour qu'elle n'oublie pas ces enfants volés ; elle explique la nécessité du teatroxlaidentidad, son utilité (pas de chiffres mais le cycle a effectivement permis de retrouver de nombreux petits-enfants), son désir que ces oeuvres fassent réfléchir. Elle parle de son expérience personnelle, très peu ; se contentant de dire que la pièce du jour l'a touchée, elle qui a aussi dû être exilé.
Le petit-fils, grand jeune homme d'une trentaine d'années aux allures d'étudiant, conclut. La fameuse phrase "mi nombre es ... y lo digo porque sé quien soy" a, dite par lui, une toute autre signification. Lui aussi demande que tous se posent des questions, que chacun prenne la peine de douter, pour que les 400 manquants soient enfin retrouvés. On sent son désir de parler, de raconter ; pas par vanité, non, plus parce qu'il veut que les gens comprennent, que tout ça soit réel. Il a découvert qu'il n'était pas le fils de ses parents à 19 ans ; il n'avait jamais eu le moindre doute. Après le choc de la nouvelle, il a reconstruit son identité, a pu s'inscrire dans un passé, une histoire personnelle. A donc appris que son père a été tué dès le premier jour du coup d'Etat. Que sa mère s'est réfugiée dans la province d'Entre Rios, dans une maison qu'elle partageait avec un autre couple, qui avait aussi deux enfants. Que le jour où leur cachette a été découverte, ils ont tous _ sauf lui_ été assassinés. Que les journaux ont proclamé que cinq subversifs avaient été tués. Subversivos parmi lesquelles étaient deux enfants de 3 et 5 ans.
Alors il demande sans relâche que ceux de 30 ans doutent, qu'ils fassent l'effort de se poser la question ; il dit sa "chance", lui qui sait qui il est, et peut désormais vivre dans le présent, et se projeter dans un futur.
Voilà. C'était une belle soirée, émouvante, mais pudique et digne. Un moment qui rappelle que ça ne fait que 25 ans que la dictature est terminée, et que les cicatrices de l'Argentine sont encore ouvertes.